Place Moracin
63 rue Maubec
64100 Bayonne
Avec Libres et Sauvages, l’artiste espagnol Escif rend hommage à une figure souvent négligée du monde de l’art : l’« artiste du dimanche ». Celui qui peint librement, sans attente de reconnaissance, sans pression esthétique ni politique. Celui qui continue, envers et contre tout, à créer pour lui-même, par amour du geste, de la couleur, de la nature.
Sur la façade d’une copropriété privée, Escif représente un trio d’hommes peignant en plein air. Chacun est concentré, debout dans une prairie, face à son chevalet. Le style évoque une scène documentaire, quasi photographique, où l’ordinaire devient poétique. Pour ancrer l’œuvre dans son contexte local, l’artiste a repris la typographie basque traditionnelle, avec ses grands empattements et son ancrage vernaculaire. Un choix qui, en creux, interroge : la culture basque, souvent marginalisée en France comme en Espagne, n’est-elle pas, elle aussi, libre et sauvage ?
Cette fresque est un éloge à la marge, une célébration silencieuse de celles et ceux qui créent en dehors des cadres. Elle pose la question : et si la véritable radicalité consistait simplement à rester libre ?
Né à Valence (Espagne) en 1980, Escif est une figure majeure de la scène internationale du street art contemporain. Actif depuis la fin des années 1990, il développe une œuvre engagée, critique et poétique, centrée sur la resignification de l’espace urbain. Pour lui, « la vie sera toujours plus intéressante que l’art ».
Son langage visuel est sobre, ses lignes nettes, ses couleurs réduites à l’essentiel. Mais derrière cette économie de moyens se cache une grande densité conceptuelle. Escif interroge les luttes sociales, les mouvements de résistance, les dérives du capitalisme et les enjeux écologiques de notre époque. Il aime les gestes discrets, les interventions à contre-courant, les œuvres qui agissent comme des parenthèses dans la routine urbaine.
Si une grande partie de son travail se déploie à Valence, sa ville natale, Escif a également réalisé de nombreuses interventions dans le monde entier : au Palais de Tokyo (Paris), à la Biennale de Lyon, dans le projet Dismaland de Banksy (UK), au Power Station Museum (Shanghai) ou à la Biennale de Dakar.
Avec Libres et Sauvages, il livre une fresque à la fois douce et radicale, fidèle à son approche minimaliste et à sa critique de la norme.
Libres et Sauvages n’est pas née d’une résidence, mais d’une carte blanche donnée à Escif pour investir un mur discret au cœur de Bayonne. L’artiste arrive avec une idée simple, presque humble : rendre hommage aux artistes du dimanche, ces peintres anonymes qui créent loin des institutions et des attentes. Il souhaite leur offrir une place dans l’espace public, comme une reconnaissance silencieuse.
Accompagné de son ami et assistant exceptionnel — l’artiste SAM3, figure reconnue du street art conceptuel — Escif travaille avec efficacité, précision, complicité. Ensemble, ils peignent la scène inspirée d’une photographie qu’Escif a publiée sur son compte avec ces mots :
« La poésie, comme la peinture des dimanches, comme la nature… sera toujours libre et sauvage. »
Un détail discret complète la fresque : une palette de peintre, peinte un peu à l’écart, en bas du mur. Un clin d’œil discret à l’outil même de l’artiste. Cette petite intervention a malheureusement été effacée par les services de propreté de la ville, croyant à un gribouillage. Il n’en reste aujourd’hui qu’une trace fantomatique, visible uniquement aux regards attentifs. Un effacement involontaire, mais presque dans l’esprit de l’œuvre : tout ne reste pas, mais tout peut réapparaître — si l’on sait regarder.