Stèle de Gibraltar
64120 Uhart-Mixe
En basque, Lasai signifie « calme », « tranquille », mais aussi « relâche », « repos ». C’est ce mot que l’artiste Jan Vormann a choisi pour intituler l’installation réalisée à Uhart-Mixe en 2023, après une résidence de quinze jours. Située à proximité de la croix de Gibraltar, carrefour symbolique des trois grandes voies jacquaires, Lasai invite à un changement de rythme, à une contemplation active du paysage.
À contre-courant des infrastructures humaines visant à accélérer, Lasai prend la forme d’un tronçon d’autoroute abandonnée, envahie par la végétation, fissurée, rouillée, doucement effacée par le vivant. Cette autoroute imaginaire, posée dans la pente d’un terrain traversé par 60 000 pèlerins chaque année, résonne comme une balise inversée.
L’installation propose une réflexion sur le ralentissement, le temps long, la désactivation volontaire de la vitesse. Elle entre en tension avec le Camino, qu’elle frôle sans le heurter, interrogeant avec humour et poésie la manière dont nous traversons les paysages — et ce que nous choisissons d’y voir.
Né en 1983 à Bamberg, Jan Vormann est un artiste allemand reconnu pour ses interventions urbaines qui détournent les langages de l’architecture, du jeu et de la réparation. Il s’est notamment fait connaître avec Dispatchwork, un projet international consistant à reboucher les fissures des murs avec des briques Lego colorées — un geste à la fois absurde, poétique et participatif.
Mais l’univers de Vormann ne se limite pas à cette pratique. Formé en histoire de l’art et en sculpture entre Berlin, Bamberg et Saint-Pétersbourg, il développe une œuvre conceptuelle qui oscille entre installation in situ, archéologie du futur, design spéculatif et protocole artistique.
Son travail est présenté aussi bien dans l’espace public que dans des musées ou institutions internationales. Chaque projet s’adapte au contexte, détourne les codes de l’aménagement urbain, interroge la place des usages et des récits dans les formes bâties.
Avec Lasai, Vormann poursuit cette démarche critique, à la frontière du réel et de la fiction, pour proposer un geste sculptural discret mais chargé de sens — un fragment d’infrastructure imaginaire qui réactive notre attention au monde.
Jour 1 : immersion
Jan Vormann arrive à Uhart-Mixe à la fin de l’été 2023. Très vite, il explore les chemins, observe le paysage, rencontre les habitants. Il ne vient pas avec une idée toute faite, mais avec une méthode : regarder, écouter, laisser venir. Le contraste entre la lenteur des pèlerins et la vitesse du monde moderne s’impose comme un fil rouge.
Jour 4 : tensions et idées
L’association, d’abord réticente à toute intervention contemporaine, imagine plutôt des bancs ou un verger. C’est alors que Jan propose son idée : une autoroute abandonnée, fictive, faite de béton brisé, de fissures, de traces. Un geste volontairement disruptif, à la fois poétique et critique. Le doute s’installe. Puis une discussion s’engage. L’idée prend.
Jour 7 : le chantier commence
Contre toute attente, les élus et membres de l’association, d’abord prudents, se joignent au projet. Ils aident à transporter les matériaux, participent au chantier. Le projet devient collectif. Les formes apparaissent. Le sol se transforme. Une voie surgit, sans signalisation, sans panneau, sans fin.
Jour 10 : symbiose
L’œuvre se fond dans le paysage. Des randonneurs s’arrêtent, s’interrogent, prennent place sur ce vestige imaginaire. La végétation environnante s’infiltre déjà. Le lieu respire autrement. Lasai est là, modeste et puissant. Il ne donne pas d’instruction. Il propose un ralentissement. Un moment suspendu.
Jour -10 : poser les jalons
La résidence commence avant même l’arrivée de l’artiste. La croix de Gibraltar, point de jonction des trois voies majeures du pèlerinage de Compostelle, interpelle par son importance symbolique… et son apparente invisibilité. Chaque année, 60 000 marcheurs passent là sans que le lieu soit véritablement valorisé. Avec le soutien du maire d’Uhart-Mixe, M. Ithurbide, et de M. Saint-Macary, président de l’association des amis du chemin de Saint-Jacques, un défrichage est amorcé. Mais une consigne est posée : ne pas investir la stèle dans un périmètre de moins de huit mètres.